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AIN SEFRA : MA SOURCE JAUNE
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AIN SEFRA : MA SOURCE JAUNE
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4 décembre 2008

LIGNE DE CHEMIN DE FER ORAN-AIN SEFRA

LIGNE DE CHEMIN DE FER ORAN – AIN SEFRA

Dès 1939, un train de voyageurs nous menait d’un bout à l’autre de la ligne dont la gare de départ était Oran, en 21 heures. En 1948, le train ne mettait plus que 17 heures 30 ; dans les années 50 il ne mettait plus qu’une douzaine d’heures. Il n’était certes pas d’un grand confort mais donnait l’assurance d’arriver à bon port sans incidents.

Les trains 2001 et 2002 quittaient Oran vers 17 heures et arrivaient à Aïn-Séfra vers 2 heures du matin puis au terminus de Colomb-Béchar à 9 heures.
Le train 2002 qui provenait de Colomb-Béchar arrivait à Aïn-Séfra vers 23 heures et parvenait à Oran le lendemain matin vers 7 ou 8 heures.
La ligne Oran-Aïn-Séfra se départageait entre l’hémisphère Nord dont la limite était Saïda et qui était appelée par les gens du sud « l’Angéria » et le Sud dont Saïda était la porte.

Damesme, la Macta, Perrégaux,Debrousville, Méchéria………..tous ces noms évoquent en moi de merveilleux souvenirs et réveillent la nostalgie d’un passé qui, somme toute, malgré les « événements » fut une époque heureuse, de joie, de bonheur ; certes nous évoluions dans la guerre avec son lot de drames et Dieu seul sait que nous étions, à Aïn-Séfra, souvent confrontés aux dures réalités de la guerre, car les principales victimes des actes de sabotages touchaient en premier lieu les cheminots.

Au départ d’Oran, la ligne fait un long détour et suit jusqu’à La Macta – et son légendaire crocodile – la route du littoral, laissant au passage Saint-Cloud bourgade de naissance de Papa, Renan, Kléber, Damesme et ses superbes plages, Arzew ; après le passage de La Macta le bouyou-you, comme nous l’appelions, traverse la région très productive de l’Habra dont les points les plus riches sont Debrousseville et la Ferme Blanche, vastes exploitations agricoles qu’entourent des vignobles, des orangeraies et des arbres de toutes essences. Nous atteignons à présent Perrégaux, point de jonction des lignes Oran-Alger et Oran Aïn-Séfra, Colomb-Béchar. Ici l’on change de train car l’on quitte la voie large pour la voie étroite sur laquelle nous attend ce train métallique dont les deux locomotives ressemblaient comme des sœurs jumelles aux wagons qu’elles tractent.
L’arrêt de Perrégaux, nœud ferroviaire vers Alger ou le Sud-Oranais, est toujours relativement long et nous l’apprécions toujours autant car il nous permet de descendre et marcher sur le quai pour nous dégourdir les jambes, il nous permet également de nous ressourcer avant d’amorcer la traversée du Sud. A chaque halte dans cette gare, maman achetait toujours un couffin d’oranges, vendues sur le quai par de jeunes Musulmans qui se battaient entre eux, chacun prétendant que les siennes étaient meilleures. Le spectacle était toujours assuré.

La ville de Perrégaux qui compte environ 14.000 habitants dont 8300 Européens, est bâtie sur l’Habra, au centre d’une région irrigable ; c’est un véritable entrepôt agricole grâce, justement, à la fertilité des régions avoisinantes, on y avait également installé une usine de décorticage de coton, mais c’est aussi et avant tout la capitale incontestée de l’orange dont la succulente et inégalée « thomson ».

Cette longue halte est sûrement également bénéfique au train qui, à partir de Perrégaux, va commencer son ascension jusqu’à Aïn-el-Hadjar. En effet de 430 mètres d’altitude, il devra gravir une côte de 800 mètres sur environ 130 kilomètres.
Nous voici de nouveau assis sur nos banquettes en bois pour quelques longues heures avant notre arrivée à Aïn-Séfra. Après avoir parcouru une dizaine de kilomètres, apparaît le magnifique barrage de l’oued Fergoug qui peut retenir plus de 30 millions de mètres cubes d’eau servant à l’irrigation de 40.000 hectares de très bonnes terres.
Une usine d’énergie électrique a été construite au pied du barrage.

Lentement mais sûrement le train s’engage sur le massif des Beni-Chougrane, aux ravins prodigieux et impressionnants avant l’arrivée sur Dublineau, puis traversée d’une région agreste et dénudée au milieu de laquelle se dresse, majestueux, l’établissement thermal de Bou-Hanifia. En cet endroit de nombreuses sources d’eaux bicarbonatées d’une température de plus de 40 °c jaillissent en plaine et sur les flancs de la montagne. Nouvel arrêt à Tizi ; à une dizaine de kilomètres au nord-est Mascara et ses vignobles dont la réputation avait, déjà à l’époque, dépassé les frontières de l’Algérie.
La ville de Mascara domine la vaste et riche plaine de l’Eghris dont elle est le débouché agricole et le centre commercial. Dans cette plaine, comparable à la Mitidja, on y cultive, outre la vigne, principale ressource, les céréales, l’olivier, le tabac…
Les multiples arrêts dans les gares, fortifiées ou non, qui jalonnent le grand sud constituent notre principale distraction ; le spectacle des bédouins escaladant les wagons avec leurs sacs, leurs chiens, leurs gourdins, leurs faucilles et leurs falbalas étaient autant de plaisir pour l’œil…pour l’œil seulement car ils transportaient avec eux les odeurs des poules et des moutons, mais on s’y habituait. Le contrôleur, quant à lui, renonçait à sa fonction de contrôle de billets devant l’impossibilité de circuler.
Le train continue imperturbablement sa route ; nous traversons la plaine de l’Eghris et atteignons bientôt Thiersville qui permet à quelques nouveaux bédouins de grimper et d’envahir les wagons.

Oued-Taria ; centre créé le 13 mars 1872, là 48 enfants sur 2000 habitants ont donné leur vie pour la défense de la France. La France s’en souvient-elle ?
La nature a fortement changé d’aspect, c’est une zone aride qui défile devant nos yeux avec en toile de fond le Djebel El-Baïr où s’illustra le fameux « Commando Georges » dont on connaît, hélas, le triste sort qui lui fût réservé lors de l’abandon de l’Algérie. Tous les membres du Commando qui ne purent rejoindre la France, en réalité ils furent abandonnés comme tous les Harkis à la vindicte du FLN ; Voilà ce que fût le sort de ces combattants qui avaient rejoint la France et lui avaient fait confiance. Merci monsieur de Gaulle.

Après avoir repris son souffle, le convoi s’ébranle à nouveau et s’engage dans les Beni-Cougrane, pénètre dans la vallée de l’oued Saïda, encaissée entre des montagnes boisées ; nous atteignons Charrier, Franchetti dans le Djebel Tafidount et arrivons aux Eaux Chaudes – dernière station avant Saïda.
Saïda, petite ville moderne d’environ 15000 habitants dont la moitié d’Européens, est située dans l’Atlas Tellien. La ville est le centre d’une région très fertile et très boisée ; la forêt des Hassasna occupe à elle seule une superficie de 76000 hectares.
Saïda est réellement la frontière entre le Nord et le Sud ; de très nombreux voyageurs y descendent au plus grand plaisir des très nombreux « sudistes » qui occupent aussitôt les places vacantes et font bien voir qu’ils sont « chez eux » en s’étalant sur tous les sièges en bois, en s’appropriant les filets au-dessus des sièges.
Le Sahara ne commence véritablement qu’après Saïda ; à partir de là, la terre appartient aux Sudistes.
L’arrêt à Saïda est également relativement long car au cours de celui-ci il y a changement de conducteur et contrôleur ; parfois l’on accrochait une autre locomotive à l’arrière afin de franchir le col d’Aïn-El-Hadjar ; il est vrai que l’ascension était telle que l’on pouvait aisément descendre et suivre le convoi à pied sans se presser.

Un grand coup de sifflet prolongé nous indique le départ ; sur le quai, c’est l’affolement général, tout le monde se bouscule pour regagner les wagons : de nombreux militaires qui étaient descendus pour se dégourdir les jambes et se désaltérer et les derniers retardataires « sudistes » chargés comme des ânes. Le spectacle donne l’impression d’une foire où chacun joue un rôle particulier mais aussi comiques les uns que les autres.
Le sifflement de la locomotive, heureusement, couvre les cris, les jurons, les vociférations de ceux à qui l’on a pris la place, de ceux qui ne trouvent pas de place.

Le convoi s’ébranle au pas à pas, puis prend un rythme un peu plus soutenu et semble prêt à « décoller » mais l’élan est très vite diminué car la voie s’élève très rapidement, traverse les vastes plateaux marneux et fertiles ; le train s’avance à présent dans la montagne comme s’il voulait pénétrer dedans.
Puis soudain il fait une courbe, s’enfonce dans un étroit vallon, décrit un crochet et revient passer une cinquantaine de mètres environ de l’endroit où il courait tout à l’heure. Il tourne à nouveau, trace des circuits l’un sur l’autre, monte toujours en zigzags, déroulant un grand lacet qui gagne le sommet du mont et, par un effort surhumain atteint Aïn-el-Hadjar, gros et coquet village industriel où est édifiée l’usine de la Société des Celluloses de l’Afrique du Nord pour la fabrication de la pâte à papier.

L’attaque des ouvriers espagnols en 1881 par le dissident Bou-Hamama fit décider de la prolongation de la voie de chemin de fer plus au Sud.
Dès le passage d’Aïn-el-Hadjar les langues commencent à se délier, les voyageurs fraternisent, les couffins s’ouvrent – les uns en sortent des dattes (tmars) avec un morceau de Keisra (galette d’orge), les autres un bout de saucisson, un morceau de fromage en sandwich.
Le paysage a complètement changé : des plaines luxuriantes de l’Oranie, aux orangeraies de Perrégaux le train traverse des petites montagnes et amorce les Hauts-Plateaux.
Adieu la zone de colonisation des cultures, la forêt de chênes verts.

Le convoi poursuit difficilement son chemin et doit parcourir 23 kilomètres pour atteindre le col de Tafraoua (1170 m.), point culminant de la ligne ; la locomotive souffle, râle, ralentit sa marche, s’arrête ; parfois elle essaye de repartir, souvent elle demeure impuissante. Elle recule pour prendre de l’élan, mais reste encore sans force au milieu de la pente trop rude.
Alors les voyageurs et les soldats égrenés le long du train se mettent à pousser.
« 1,2,3 ho hisse » se mêlent aux « Yallah, yallah », « beleeeek, beleeek » et aux « mééééé, mééééé » des moutons ; tous ces cris dans une cacophonie bon enfant.
Et bien que ce satané train soit plus têtu qu’un âne de l’Atlas devant un oued en crue, nous repartons lentement au pas d’un homme.
On rit, on plaisante, tout le monde blague la machine.

Enfin, c’est fini nous avons atteint le sommet ; nous voici sur les hauts plateaux.
La locomotive peut enfin respirer car à présent nous allons amorcer une descente qui nous mènera jusqu’au Kreider.
Le mécanicien, le corps penché en dehors regarde sans cesse la voie qui peut être coupée ou minée ; les militaires présents dans les wagons inspectent l’horizon, très attentifs, en éveil dès que quelque chose d’anormal semble surgir.
Nous vivons une époque où il n’est pas rare que les convois ferroviaires tant de marchandises que de voyageurs soient l’objet d’attaques des fellaghas ou de mines posées sur les rails.
Le train file à présent au beau milieu d’une mer d’alfa, aux horizons immenses et uniformes, dont la triste monotonie est parfois interrompue de çi de là par quelques nappes d’eau miroitantes et de maigres bosquets, des troupeaux de moutons et de chameaux paissent jusqu’au bord des voies et rendent vie au paysage. C’est sans doute l’une des régions les plus inhospitalières du Grand Sud.

Elle s’est tout d’abord rendue tristement célèbre par le massacre d’ouvriers alfatiers espagnols en 1881, lors de la révolte du dissident Bou-Amama ; son climat continental est caractérisé par une sécheresse accentuée et des variations de température considérables : la neige, la gelée, le vent, la sécheresse compromettent gravement l’existence des hommes et même des troupeaux.

Ses ressources naturelles consistent dans l’exploitation de l’alfa, graminée dominante sur ces étendues à carapace calcaire, et dans l’élevage des moutons.
L'alfa est une plante utile: il sert de nourriture aux chevaux, on en fait en Orient des ouvrages de sparterie, et, dans le Sahara, des nattes, des chapeaux, des gamelles, des pots à contenir le lait et l'eau, de larges plats pour servir les fruits. Sur pied, il sert de retraite au gibier: lièvres, lapins, gangas. Mais l'alfa est pour un voyageur la plus ennuyeuse végétation que je connaisse, et malheureusement, quand il s'empare de la plaine, c'est alors pour des kilomètres et des kilomètres.
Imaginez toujours la même touffe poussant au hasard sur un terrain tout bosselé, avec l'aspect et la couleur d'un petit jonc, s'agitant, ondoyant comme une chevelure au moindre souffle; si bien qu'il y a presque toujours du vent dans l'alfa. De loin, on dirait une immense moisson qui ne veut pas mûrir et qui se flétrit sans se dorer. De prés, c'est un dédale, ce sont des méandres sans fin où la marche à pied ne se fait qu'en zigzag, et où l'on butte à chaque pas. Ajoutez à cette fatigue de marcher en trébuchant, la fatigue aussi grande d'avoir devant les yeux ce steppe décourageant, vert comme un marais, sans aucun point d'orientation où seuls les nomades sont capables de trouver leur chemin.
Il n'y a jamais d'eau dans l'alfa; le sol est grisâtre, sablonneux, rebelle à toute autre végétation.

Curieusement, c’est un Anglais qui est à l’origine du développement de l’alfa.
En 1862, alors qu’il effectue un voyage en Algérie, il ramène dans son pays quelques pousses afin de les étudier et constate qu’elles possèdent toutes les qualités nécessaires à la fabrication du papier.
Dès l’année suivante, le manufacturier Anglais entre en relations avec un important propriétaire à la tête de 25 mille hectares dans la région de l’Habra et de La Macta, un dénommé Debrousse qui, flairant la bonne affaire, réussit à obtenir une concession de 300 mille hectares dans le Sud-oranais.
Les soldats donnèrent le nom caractéristique de « Petit Désert » à cette zône désertique.
Kralfallah, capitale de l’alfa où sont installés de très importants chantiers.
Le train déverse sur le quai quelques nomades et en reprend le double ; la chaleur est torride, toutes les vitres des wagons sont baissées et nous avons hâte d’arriver à destination. Malheureusement nous n’avons effectué que la moitié du chemin et le plus dur reste à faire.

Le convoi s’ébranle à nouveau dans un vacarme assourdissant de crissements de roues sur les rails, de la longue mélopée du sifflet que le mécanicien se délecte de faire durer ; dans les wagons, chacun tente de se caser comme il peut.
Le train amorce une descente de quelques centaines de mètres pour franchir la large dépression des Chotts, sorte d’immense fossé séparant les Hauts-Plateaux de l’Atlas Tellien, et au fond duquel s’étendent les vastes lagunes desséchées des Chotts Chergui et Gharbi qui se prolonge jusqu’à la frontière marocaine.
Pratiquement au centre de cette dépression se situe Le Kreider – km 309 -aux vergers verdoyants créés autour d’une source, grâce à la patience et l’ingéniosité des soldats qui ont réussi cette oasis de verdure sur cette plaine recouverte d’inflorescence saline.

Le Kreider est devenu dans cette plaine aride et nue et un hameau commercial comportant dans les années 1950 environ 400 âmes.
Après avoir parcouru 13 kilomètres, le train s’arrête à Bou-Ktoub, citadelle isolée devenue centre de transit d’alfa, d’où partaient quelquefois des trains de moutons. Nouvel arrêt, après avoir parcouru une quarantaine de kilomètres, à El-Biod et sa gare fortifiée.
La locomotive, à présent, halète en attaquant la montée menant à Méchéria situé à 1159 m. d’altitude ; c’est la partie la plus dénudée et la plus triste des Hautes Plaines steppiques oranaises. Après un effort surhumain, le train entre en gare de Méchéria.

Méchéria, chef lieu d’un cercle militaire et d’une commune mixte de 27.105 habitants disséminés sur un territoire de 2 millions d’hectares.
Il n’y avait là qu’un ancien ksar ruiné, possédant une source abondante au pied du Djebel Antar. qui le domine de 600 mètres.
La ville, première cité du Bled Oranais, a été construite en 1881 par le Génie qui en fit un poste militaire en plein domaine de la tribu nomade des Hamyan.
Elle est bâtie à 1171 mètres d’altitude au pied de la masse sombre du Djebel Antar qui culmine à 1720 mètres. La cité, dotée d’un terrain d’aviation) est devenue un des plus gros marchés de l’Oranie pour le commerce des moutons, de la laine, de l’alfa.

Dépôt de locomotives jusqu’en 1914, Méchéria ne tarda pas à attirer un village indigène puis un village européen tiré au cordeau, où se croisent les pistes de Saïda et de Géryville située à 130 kilomètres à l’Est

Elle compte 2600 habitants Européens et Musulmans, négociants hardis et entreprenants qui n’hésitent pas à affronter le climat et la désolation de la région.
Quelques familles juives venant du sud-marocain s’y installèrent vers 1912.
Il ne nous reste plus qu’une centaine de kilomètres avant d’arriver à Aïn-Séfra ; notre train prend un élan indispensable pour gravir la montée qui nous mènera à Mékalis point culminant où la caillasse et le sable ont remplacé l’alfa.

Puis la descente Terkount-Aïn-Séfra en traversant le Feljet-el-Betoum – le défilé des Pistachiers – large d’une dizaine de kilomètres ; sitôt l’amorce de la descente, on aperçoit le Mekter tout noir avec à ses pieds Aïn-Séfra. Enfin on atteint la plaine d’Aïn-Séfra, ceinturée par le Djebel Moghab à l’ouest (2136 m.), le Djebel Aïssa au nord (2256 m.) et le Djebel Mekter au sud (2062 m.), en plein cœur des monts des Ksours.
Nous voici dans une région toute nouvelle où pointent des crêtes altières, redressées souvent à la verticale par des plissements et des failles très sensibles. L’alfa se maintient sur les versants recouverts d’éboulis et dans les plaines intérieures séparant les crêtes, mais l’on peut observer une forêt clairsemée de chênes verts et de genévriers.
En revanche la plaine nord-est d’Aïn-Séfra représente une zone désertique parsemée par quelques touffes d’alfa qui sont les repaires des scorpions et vipères.

Ici le pays change entièrement d'aspect, au point qu'on croirait s'être trompé de route et vouloir rebrousser chemin vers le nord.
C'est un pays stérile, boisé d'arbres aussi tristes que des pierres; il y neige abondamment l'hiver, et l'été on y brûle. Cette étendue parfaitement plate conserve, malgré les changements de sol, une couleur générale assez douteuse; les plans les plus rapprochés à l'oeil sont jaunâtres, les parties fuyantes se fondent dans des gris violets; une dernière ligne cendrée, mais si mince qu'il faudrait l'exprimer d'un seul trait, détermine la profondeur réelle du paysage.

Le terrain, très variable au contraire, est alternativement coupé de marécages, sablonneux ou bien couvert de graminées touffues (alfa), d'absinthes (chih), de pourpiers de mer (k'taf), de romarins odorants, etc., tantôt enfin, mais plus rarement, clairsemé d'arbustes épineux et de quelques pistachiers sauvages.
Le pistachier (betoum), térébinthe ou lentisque de la grande espèce, est un arbre providentiel dans ces pays sans ombre. Il est branchu, touffu, ses rameaux s'étendent au lieu de s'élever et forment un véritable parasol, quelquefois de cinquante ou soixante pieds de diamètre. Il produit de petites baies réunies en grappes rouges, légèrement acides, fraîches à manger, et qui, faute de mieux, trompent la soif.
Le paysage est cependant moins monotone que les immenses étendues d’alfa.
Le terrain est pierreux, sec, dur et mêlé de salpêtre ; ici croissent les romarins et les absinthes et on y marche à l’aise.
la couleur en est belle, l'aspect franchement stérile, et c'est là surtout qu'on voit grouiller sous ses pieds, ramper, fuir et se tortiller tout un petit peuple d'animaux, amis du soleil et des longues siestes sur le sable chaud. Les lézards gris sont innombrables. Ils ressemblent à nos plus petits lézards de muraille, avec une agilité que paraît avoir doublée le contentement de vivre sous un pareil soleil. On en rencontre, mais rarement, qui sont fort gros; ceux-ci ont la peau lustrée, le ventre jaune, le dos tacheté, la tête fine et longue comme celle des couleuvres. Quelquefois, une vipère étendue et semblable de loin à une baguette de bois tordu, ou bien roulée sur une souche d'absinthe, se soulève à votre approche, et, sans vous perdre de vue, rentre avec assurance dans son trou.

Des rats, gros comme de petits lapins, aussi agiles que les lézards, ne font que se montrer et disparaître à l'entrée du premier trou qui se présente, comme s'ils ne se donnaient pas le temps de choisir leur asile, ou bien comme s'ils étaient à peu près partout chez eux. Je n'ai encore aperçu d'eux que ce qu'ils me laissent voir en fuyant, et cela forme une petite tache blanche sur un pelage gris.

Mais au milieu de ce peuple muet, difforme ou venimeux, sur ce terrain pâle et parmi l'absinthe toujours grise et le k'taf salé, volent et chantent des alouettes, des alouettes de France... Même taille, même plumage et même chant sonore; c'est l'espèce huppée qui ne se réunit pas en troupes, mais qui vit par couples solitaires.
Elles chantent à une époque où se taisent presque tous les oiseaux, et aux heures les plus paisibles de la journée, le soir, un peu avant le coucher du soleil. Les rouges-gorges, autres chanteurs d'automne, leur répondent du haut des amandiers sans feuilles, et ces deux voix expriment avec une étrange douceur toutes les tristesses d'octobre. L'une est plus mélodique et ressemble à une petite chanson mêlée de larmes; l'autre est une phrase en quatre notes, profondes et passionnées.
Je me suis toujours demandé pour qui elles chantaient dans ce voisinage des antilopes et la dangereuse compagnie des scorpions et vipères à cornes.

Enfin apparaît dans une clarté presque surnaturelle Aïn-Séfra avec à ses pieds la merveilleuse, l’unique dune dorée qui s’étend jusqu’à Tiout, l’oued Séfra sur lequel l’on distingue tour à tour le Ksar, la Redoute
La ligne devait se prolonger jusqu’à Colomb-Béchar – km 749 et terminer en 1939 à Kenadza. Cette portion Aïn-Séfra – Colomb-Béchar fut le théâtre de multiples attentats causant la mort de nombreux cheminots Européens et Musulmans.
Après avoir amorcé la côte puis la descente du Col d’Aïn-el-Hadjej, après Tiout, et avoir traversé un couloir de roches rouges, nous voyons l’oasis de Moghrar Foukani apparaître comme un rêve ou un mirage.

Passé les gorges de Moghrar, l’on atteint la station des Oglat puis les merveilleux jardins de Djenien-bou-Rezg – près de l’ancien poste militaire créé en 1885 et devenu le centre disciplinaire de la Légion Etrangère - ; le paysage continue à défiler, nu, aride jusqu’à l’arrivée à Duveyrier, village érigé à l’emplacement de l’agglomération indigène au nom peu flatteur de « Zoubia ».


RECIT DE PATRICK GUILLAS

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